Le Dictateur (Charlie Chaplin, 1940)

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Chaplin était un cinéaste engagé ! Plusieurs décennies après sa sortie, Le Dictateur paraît peut-être encore plus virulent qu’il ne l’était à l’origine. Un véritable document historique que ses admirateurs français des Cahiers du Cinéma n’ont pas hésité à comparer au « J’accuse » d’Emile Zola. L’histoire est celle d’un barbier juif frappé d’amnésie après la guerre de 1914. Bien des années plus tard, il s’échappe de l’hôpital pour regagner sa boutique sans se douter que les armées de son sosie, le dictateur Hynkel, sévissent dans le ghetto…

Le Dictateur est certainement l’un des films qui aura fait couler le plus d’encre dans toute l’histoire du cinéma. En 1940 (sa date de sortie aux Etats-Unis), Charles Chaplin et Adolf Hitler sont peut-être les deux personnes dont on parle le plus dans le monde. S’il est un point commun entre les deux êtres (le seul et l’unique), c’est leur moustache. Cette fameuse moustache qu’Hitler osa voler à Charlot ! A plus d’un titre le film marquera un tournant dans la carrière de l’acteur-cinéaste. Par fierté, il revole sa propre moustache à Hitler et se glisse une dernière fois dans son costume de vagabond devenu barbier. Pour la première fois (si l’on exclut les bafouillages du final des Temps modernes), il le fait parler. Enfin, il met toutes les armes de son art au profit d’une cause. Le cinéaste eut beaucoup de mal à monter son film. Deux ans durant (depuis 1938) les démarches se multiplièrent pour bloquer la production. Des agents diplomatiques allemands jusqu’à la Commission des activités anti-américaines dans son propre pays (!), Chaplin fit face à toutes les menaces pour pouvoir mettre son film sur pied. A savoir que les Etats-Unis engagèrent dès 1940 une guerre contre le cinéaste qui sera à plusieurs reprises soupçonné d’activités communistes. Pour autant, il s’est engagé à appliquer tout ce qu’un artiste peut faire pour défendre une cause. Le Dictateur, tout en étant un burlesque, est loin d’être le plus drôle de ses longs-métrages. Ce qui compte avant tout, c’est le message qu’il véhicule. L’auteur ne cherche pas à faire rire en prenant la dictature pour sujet de fond. Il cherche à faire réagir sur la dictature en avançant la plus grande arme qu’il ait à sa disposition : le rire. Voila comment l’œuvre doit être vue.

Chaplin n’a jamais oublié d’où il venait. C’est un homme de la rue. Depuis ses débuts, il a toujours été prêt du peuple dans les grands moments historiques, qu’ils soient durs ou joyeux. Le Dictateur continue dans cette perspective en dressant une fresque violente des conditions de vie des juifs. Parallèlement, il se sert du ridicule pour démonter le caractère et la réputation qu’Hitler s’est érigés de l’autre côté de l’Atlantique. En découlent des scènes merveilleuses. Qui n’a pas en mémoire le discours où les micros se rétractent ou encore le fameux ballet avec la mappemonde qui finit par éclater en morceaux ? Oui, Le Dictateur est un vrai document cinématographique et historique au même titre que le Nuit et Brouillard de Resnais. Le message improvisé par le modeste barbier sur les six dernières minutes marque un point d’orgue poétique sur toute l’ampleur humaniste du film. A voir, ne serait-ce que par devoir de mémoire… et aussi pour rire un bon coup !