Into the Wild (Sean Penn, 2007)
On croyait les grands espaces définitivement bannis du cinéma américain. Sean Penn, acteur grandiose et réalisateur tout à fait honorable, prend intelligemment le contre-pied de cette tendance. L’espace, qui fut au premier plan d’un cinéma aujourd’hui révolu (le western classique en tête) joue ici un rôle témoin promptement justifié. Into the Wild est adapté du roman de Jon Krakauer sur la véritable histoire de Chris McCandless, jeune homme d’une vingtaine d’année animé par le désir de quitter toute forme de civilisation et de partir à l’aventure seul en Alaska.
Tout, dans les choix de Sean Penn, invite au respect. Comprendre et accepter pourquoi le brillant étudiant Chris McCandless est devenu l’ermite Alexander Supertramp. L’ambition, moins simple qu’elle n’en à l’air, est menée à terme avec brio. Et pour cause, le cinéaste dresse ici un portrait bouleversant tout en pudeur. Fi des artifices qui conduisent à l’oscar du meilleur acteur. Emile Hirsch, à peine plus de vingt ans, habite un personnage que nous suivons volontiers. Cette connivence que nous, spectateurs, entretenons avec lui, est régie par un fascinant rapport à l’image. Eric Gautier, directeur de la photo français (dont on a pu admirer le travail sur Cœurs, le dernier Resnais), est pour beaucoup dans la réussite du film : les grands espaces sont désormais l’affaire d’un européen au regard nouveau et inattendu. Chris est filmé comme un miroir, les paysages se reflètent dans ses yeux et participent d’une introspection. La caméra creuse son corps, scrute son visage, puise dans son regard : Eric Gautier et Sean Penn font d’Emile Hirsch un véritable instrument de perception. On ne doute pas que le film est réalisé sous la bannière des « indépendants américains » et non celle des « majors d’Hollywood ». Rien à voir : ici, on aspire au réel, au sensible.
Tout participe alors d’un effet de substitution : la nature sauvage est un lieu de paix, d’aventure, de bien-être là où la ville n’est que douleur, paresse et lassitude. Plus « quête initiatique » que « road-movie », le film montre un jeune homme qui cherche de nouveaux repères. Besoin de faire le point, besoin de vivre seul, besoin de s’assumer. Dans un style beaucoup moins contemplatif, Sean Penn suit les traces de Gus Van Sant : la jeunesse perdue qui cherche des accroches au moment de son entrée dans la vie d’homme. Mais Into the Wild ne généralise pas et reste avant tout un portrait pudique et unique. Le film fonctionne par chapitres, de la naissance de l’homme vers la sagesse. Sagesse au ton de résignation : une fois le but atteint, il n’est plus rien. L’isolation a raison de l’homme, finalement prisonnier de tout espace. D’où l’importance de la « famille », intitulé du chapitre précédant celui de la « sagesse ». Etape importante car les parents de Chris constituent son mal dominant, les racines de son besoin d’échappatoire. La difficulté de la purgation sera à la hauteur de la beauté du pardon dans une scène finale métaphysique particulièrement bouleversante. Quant aux différentes rencontres de Chris sur son parcours, elles servent de contrepoint au récit : les étapes de son voyage sont entrecoupées d’aperçus de son ermitage final en Alaska. Les personnages qu’il croise (selon le principe un peu trop formatté : un chapitre, une rencontre) sont des témoins de son parcours. Besoin d’amour donc besoin d’autrui : c’est sur cette note conclusive que s’éteignent le film et l’homme. Sean Penn a signé un sublime certificat d’existence. Chapeau bas.