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La Lanterne
1 juin 2008

Quand passent les cigognes (Mikhaïl Kalatozov, 1957)

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Ne pas s’en tenir aux stéréotypes ! On sait combien les russes peuvent être admirables tout en demeurant extrêmement ennuyeux. Mais le cinéma soviétique ne repose pas que sur les épaules d’Eisenstein et de Tarkovski. L’outsider Kalatozov est l’un de ces génies dont on ne parle jamais et qui pourtant savent filmer avec une virtuosité déconcertante. Il a pu faire ses preuves en 1958 lorsqu’il présenta au festival de Cannes Quand passent les cigognes. A la clé : une palme d’or ! Le film est peut-être l’un des plus romantiques jamais réalisé. A en regarder sa nationalité on n’en est que plus surpris puisqu’en URSS, le cinéma était malgré lui au service du pouvoir. Or ici, c’est l’individu qui prime sur le groupe. Presque une première !

Nous sommes à Moscou en 1941. Veronika et Boris trainent dans les rues ; ils ont du mal à se dire au revoir. Un vol de cigognes passe au-dessus d’eux. La guerre est déclarée. Boris s’engage pour le front comme volontaire contre l’avis de tous et au grand désespoir de Veronika. Il part la veille de l’anniversaire de sa fiancée, lui laissant en cadeau un écureuil en peluche.

quandpassentlescigognes02D’innombrables sentiments nous traversent au visionnage de ce film sublime. A l’origine, une trame relativement banale quoique toujours efficace : la séparation de deux amants par la guerre. Loin du dogme du « réalisme social » instauré par Staline concernant l’ensemble de la production cinématographique soviétique, Kalatozov confère à son film un engouement romanesque et romantique d’une intensité rare. Certes, tout film est politique et celui-ci n’échappe pas à la règle. Cependant, Kalatozov se permet plusieurs touches d’ironie, tel le médecin qualifiant les monuments aux morts de « résultat » quant à l’appel au patriotisme. L’auteur n’hésite pas non plus à conférer un certain pathétisme aux reclus et rescapés de guerre (le délire dans l’hôpital, la distribution de fleurs finale), tout en pointant du doigt les lâches qui préfèrent s’amuser plutôt que de servir la patrie (Mark, le cousin de Boris). Finalement, le discours s’enrichit par la lettre de Boris, lue par Veronika lors des dernières minutes du film, avançant que l’homme est forcément contraint à participer à la guerre pour défendre son pays, et en cela son propre bonheur.

quandpassentlescigognes03Or, c’est cet acharnement dans la description du bonheur qui surprend pour un film soviétique (voire pour un film tout court). Quand passent les cigognes se distingue par sa qualité de mise en scène, élégante, poétique et toujours en osmose avec les personnages. Pour s’en convaincre suffit-il de s’attarder sur les scènes clés qui font la force du récit. Il en va ainsi de la trahison de Veronika lorsqu’elle se laisse séduire par Mark sous le bombardement de Moscou : une scène violente, presque fantomatique qui traduit toute la claustrophobie du personnage principal et du remords qui l’habite. Il en va de même au milieu du film lors de la mort de Boris, la caméra devenant subjective et le délire du personnage alors illustré par une succession d’images juxtaposées où s’accumulent les souvenirs que le soldat garde de sa fiancée avec pour point d’orgue une vision d’elle en robe de mariée. Kalatozov scrute les regards et creuse au plus profond de ses personnages pour exploiter ce qu’ils ont de plus humain. La musique et l’utilisation du son participent activement à ces effets, au même titre que l’élégance de la caméra du chef opérateur Serguei Ouroussevski. Reste à saluer la performance de Tatiana Samoïlova dans le rôle de Veronika, un être torturé, rongé par le remords, en communion avec la majesté de la mise en scène. Un tour de force majeur, si tant est que ces effets grandiloquents ne nuisent en rien aux sentiments, bien au contraire. Un chef d’œuvre.

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