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La Lanterne
22 mars 2009

Les Rapaces (Erich von Stroheim, 1924)

rapaces-1925-13-gErich Von Stroheim était un génie anachronique.  Pour un spectateur de mon âge (en l’occurrence 22 ans), voir un film comme Les Rapaces s’avère être une prouesse. Non parce que le film est irregardable (loin de là) mais tout simplement parce qu’il n’est jamais projeté nulle part. D’où mon enthousiasme lorsque j’ai vu que le musée d’Orsay organisait une rétrospective autour de ce cinéaste que je persiste à croire venu de nulle part. Erich Von Stroheim est de toutes les époques, de tous les milieux, de tous les pays. Voir ses films procure à la fois une joie intense et un déchirement des plus injustes. Joie parce qu’un film comme Les Rapaces est empreint de telles idées qu’on en oublie que le film est muet (effet d’autant plus positif qu’il ôte toute idée d’ennui au spectateur contemporain) ; et déchirement parce qu’on sait que Stroheim a été incompris en son temps et que ses chefs d’œuvres ont pour la plupart été amputés de plus de la moitié de leurs bobines.

Effet d’autant plus surprenant que les 2h10 des Rapaces (conformément à la version présentée au musée d’Orsay) constitue en soi un immense chef d’œuvre. Certes, il y a tout d’abord le ton. Acerbe et froid, ironique et romantique, réaliste et moqueur. La potion magique de Stroheim est inimitable. À ceux qui bannissent toute œuvre issue du cinéma muet en dehors des burlesques américains, j’encourage à voir Les Rapaces pour se faire une idée de tout ce qu’ils manquent en terme d’innovation et de pures idées de mise en scène. L’absence de son rend inévitablement le spectateur plus scrupuleux quant aux qualités de narration, et en cela, Stroheim est un maître. Chaque cadre, angle, raccord ou insert est pensé et abouti. La forme est splendide, elle invite à rire de même qu’elle pousse à la réflexion. Car ne l’oublions pas, Les Rapaces est avant tout une fresque sociale sur l’argent et les méfaits qu’il engendre.

rapaces-1925-12-gLe film a beau être de Stroheim, il n’y apparaît pas en temps qu’acteur. De même il a laissé pour un temps de côté les récits aristocratiques dont il est si friand pour ici arpenter les sommets du naturalisme. Le couple qu’il met en scène, Trina et McTeague, incarne le petit peuple américain. Brutal et sans scrupule, l’homme-dentiste s’apprête à violer sa patiente, et finalement l’épousera quelques mois plus tard. C’est dire si le coup de foudre n’a aucune valeur (si ce n’est mythique) dans cet univers décadent. À  la brutalité puérile de l’époux répondra l’avarice de la femme. Trina se laisse atteindre par la folie, dominée par la force obscure de l’argent qu’elle gagna autrefois à la loterie et dont elle refuse de se défaire. Une famille vulgaire et intéressée d’un côté, un ami rongé par la jalousie de l’autre, rien ne jouera en la faveur des deux amants qui finiront par se couper du monde avant de se dévorer l’un l’autre.

rapaces-1925-16-gLes Rapaces figure sans conteste parmi les œuvres les plus importantes de l’histoire du cinéma. Le film regorge de ces scènes chocs qui s’imprègnent dans les mémoires, qu’il en soit du baiser de McTeague sur la table d’opération, du banquet de mariage où s’empiffre sans vergogne la belle famille, de ces oiseaux symboles de l’union menacés par l’instinct de chasse d’un malveillant félin, des mains de Trina de plus en plus abîmées à mesure qu’elle s’enlise dans la folie, ou encore de ce duel final dans le désert. Nul doute que nombre de cinéastes ont vu les Rapaces tant il est de ces films qui invitent à faire naître les idées les plus farfelues. Tout cela aidant, malgré son amputation de quatre heure, Les Rapaces demeurera l’une de ces rares œuvres fondatrices et immortelles qui font l’histoire du cinéma.

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